Science Fiction et Soucoupes Volantes
Il existe peu de livres “phares” en ufologie dont on puisse dire qu’ils ont réellement fait avancer la réflexion sur les ovnis. Science Fiction et Soucoupes Volantes, de Bertrand Méheust, est pour moi de ceux-là. Je me souviens en avoir eu l’image a priori d’un livre “sceptique”, réduisant la question à des témoignages générés par la culture… puis de l’avoir lu — en fait dévoré — avec la satisfaction de découvrir un point de vue réellement nouveau, non réductionniste, et vertigineux. Face aux multiples contradictions, incohérences, une hypothèse plus large se dégageait, presque malgré l’auteur. Parce qu’elle élargissait la question, elle semblait épaissir le mystère, et presque obliger les ufologues à partager leur sujet avec les parasychologues. Mais c’était moins d’apporter des réponses que de poser des questions, mettre le doigt sur des difficultés trop longtemps éludées.
Article initialement posté le 10 novembre 2008
Tout commence en 1974 quand Méheust remarque ce lien troublant entre science-fiction et soucoupes volantes : des récits du début du 20ème siècle, antérieurs même, contiennent presque trait-pour-trait des descriptions d’observations ou d’enlèvements tels qu’on les relatera des dizaines d’années plus tard après-guerre, avec les débuts de l’ère “moderne” des ovnis. Il ne s’agit pas de simples similarités ou coïncidences, mais d’une précédence réellement troublante. Il faut le lire pour le croire. On trouve même des récits qui, sans savoir qu’ils sont issus de la science-fiction, pourraient sans difficulté être pris pour des récits d’observations d’ovnis. Pourtant, sans céder à la réduction facile, Méheust n’en conclut pas “par défaut” à l’hypothèse d’une influence culturelle sur les témoignages, puisque la matérialité de certaines observations semble démontrée. C’est là sa 1ère honnêteté, au prix de ne pouvoir conclure. Sans l’affirmer complètement, Méheust ébauche alors l’hypothèse d’un phénomène réel mais encore mystérieux et incompris : une réalité “mythico-physique” ou le réel pourrait être produit, ou du moins affecté, par une sorte d’inconscient collectif tel que celui décrit par Jung.
30 and plus tard, je croisais Bertrand Méheust aux rencontres ufologiques de Châlon-en-Champagne. Fort de mon bon souvenir de Science Fiction et Soucoupes Volantes, je tenais à lui faire savoir combien j’avais apprécié ce travail, alors que je le voyais injustement seul sur une petite table, prêt à dédicacer 100 mots pour comprendre la voyance (un titre qui n’était peut-être pas, il est vrai, le meilleur à présenter à un congrès d’ufologie). Il me répondit alors qu’effectivement, il pensait à le rééditer, sous une forme ou une autre, peut-être actualisée. Je n’imaginais pas alors tout l’intérêt qu’il allait pouvoir donner à une telle réédition.
Et c’est 2 ans plus tard que l’œuvre reparaît. Enrichie d’une préface de 60 pages, d’une honnêteté toujours aussi rare… et nouvelle : le temps a passé, et Méheust a découvert les folkloristes et leur méthode, qui permet de jauger l’influence culturelle. Il a réalisé combien, quelle que soit l’hypothèse défendue, il est aberrant de vouloir la poser comme explication unique de phénomènes non-identifiés, et donc potentiellement multiples. Un cas correspondait à son hypothèse ? Il en faisait une généralité, oubliant qu’à défaut d’une caractérisation d’une classe de phénomènes à caractéristiques communes, une hypothèse n’est applicable qu’au cas par cas. De fait, on attend, encore aujourd’hui, les caractéristiques communes aux cas inexpliqués.
Dans son jugement révisé, il apparaît plus simple (et donc plus probable) à Méheust que la population de non-identifiés “naturels” produise des ovnis en “s’accrochant” au culturel, en entrant en résonance avec. Dans un dernier effort d’objectivité et de ne pas renouveler son erreur du passé, il admet toutefois être incapable de le prouver. Mais ajoute que si les ovnis ne résultaient pas d’un tel mécanisme, s’ils relevaient d’un phénomène réellement différent, la coïncidence, objective, entre leur casuistique et science-fiction, serait double. Une sorte de “scandale conceptuel, d’absurdité supplémentaire” comme il aime à le dire.
Force est de constater que la réédition de cet ouvrage est tout aussi savoureuse que la première, même si le goût s’avère différent. Inchangé dans son contenu, il est augmenté d’une meilleure iconographie, d’un “cahier critique” (les réactions à l’ancienne édition) et surtout de cette épaisse préface “30 ans après”, qui vaut le livre à elle seule. Ou plutôt le complète, et le reconsidère avec un recul plus qu’intéressant. Méheust est sans doute le chercheur le plus honnête que j’ai pu lire en ufologie, même s’il n’est pas le seul à avoir eu le courage de remettre en cause ses travaux précédents (Thierry Pinvidic ne conseillerait pas aujourd’hui Le Noeud Gordien, pas plus que Jacques Scornaux A la recherche des ovnis). Les remises en cause qu’il s’inflige ne résultent que de connaissances supplémentaires qu’il acquiert, et d’un recul sur son propre travail. On aurait aimé savoir comment un tel regard neuf s’appliquait à ses autres travaux, tels celui sur la vague belge.