One small step for a man… two steps back for ufology
Vous aurez eu du mal à y échapper, Edgar Mitchell, astronaute de la mission Apollo 14 a déclaré en fin du mois dernier “savoir” que certains ovnis sont bels et bien des vaisseaux extraterrestres, que nous sommes visités par eux depuis plus de 60 ans, et bien sûr que les gouvernements le cachent depuis tout ce temps. Ou du moins essaient, puisque que d’autres l’ont clamé avec lui depuis presque autant de temps, à commencer par feu le major Donald Keyhoe dès 1950. La prétention n’est donc pas nouvelle, ni même celle de Mitchell lui-même, qui a un goût de déjà-vu : il y a 10 ans de cela, il disait très exactement la même chose. Mais le Web en était encore à ses débuts et les nouvelles ne fusaient pas comme autant de traînées de poudre. L’ufologie, comme l’ufomanie, n’avaient pas encore été autant démocratisées par lui. Alors ces déclarations retentissantes, dans quelle catégorie les ranger ? Aident-elles vraiment à crédibiliser le sujet ?
Article initialement posté le 2 août 2008
Le principe serait simple : vous prenez quelqu’un (vous-même, pourquoi pas), quelqu’un de gradé, ou bardé de diplômes, de titres honorifiques, tout ce que vous voulez du moment que ça en impose au péquin moyen, et vous diffusez ses propos traitant le plus sérieusement du monde quelque chose dont, la minute d’avant, il convenait de rire à gorge déployée. Et voilà ; comme par magie, le propos serait devenu sérieux, crédible. C’est ce qu’on appelle l’argument d’autorité, une recette vieille comme le monde, particulièrement en vogue depuis 60 ans justement, à cette époque où, comme dirait Pierre Lagrange ou son mentor Bruno Latour, le “grand partage” (au sens de scission) était particulièrement de rigueur entre “ceux qui savent” (les scientifiques, les militaires, les gens d’autorité quoi) et ceux qui ne savent pas (ne sachant pas non plus voir, témoigner, comprendre des les phénomènes qu’ils voient, comme s’ils étaient systématiquement affectés de déficiences psychologiques ou quasi-génétiques dont les premiers seraient immunisés). La sortie d’un de ces privilégiés du savoir, du bon côté de la barrière sociale, pour rejoindre à travers sa “révélation” le camp de monsieur-tout-le-monde (qui bien sûr n’est qu’à moitié étonné car il se doutait bien que “ceux qui savent” ne lui disaient pas tout) est alors toujours bien accueillie.
Enfin, bien accueillie… sauf par ceux de son ancien “camp du savoir” évidemment, pour qui le personnage, malgré ses galons, malgré ses diplômes qui garantissaient son sérieux le jour d’avant, a tout d’un coup perdu toute crédibilité. Une démonstration de l’aspect fallacieux de l’argument d’autorité par ceux-là mêmes qui le défendent encore, s’il en était besoin.
Car les temps changent heureusement, et la frontière se fait de plus en plus ténue, entre les catégories “savantes” et les autres. Tout le monde devient un peu savant, aidé par le temps gagné sur le travail (quoique remis en cause) et surtout encore une fois par l’amélioration de la communication grâce au Web. Aujourd’hui médecins, pharmaciens, entrepreneurs, magasins de bricolages, antiquaires, sites touristiques, gastronomiques, culturels et bien sûr ufologiques accueillent des “clients” déjà bien informés, sachant très bien ce qu’ils veulent et ne nécessitant presque plus de formation… à condition que l’auto-formation par le virtuel ne débouche pas sur une nouveau “grand partage” entre ces nouveaux “savants virtuels” imposant un savoir issu exclusivement des écrans (comme ces astronomes qui ne regardent plus le ciel à l’oeil nu, contrairement aux témoins), et ceux ayant l’expérience du terrain. Les deux restent, bien sûr, nécessaires.
Toujours est-il que le fait est là. Aidés par les réductions de budgets des “savants” officiels d’hier dont les tours d’ivoire s’effondrent chaque jour un peu plus, les “savants amateurs” s’élèvent, eux, de plus en plus éclairés et reconnus. On en eut un exemple fameux avec l’identification de la rentrée atmosphérique du 5 novembre 1990 par l’astronome amateur Pierre Neirinck, avant toutes instances officielles telles que le SEPRA, qui lui rendit hommage.
Un autre exemple plus récent de reconnaissance des amateurs intervint cette année même, à travers la dernière initiative du GEIPAN. Après avoir initié la publication de ses archives, après avoir fait un pas de plus dans l’amélioration de la communication et du recueil de témoignage, celui-ci avait publié un protocole de collaboration avec des enquêteurs privés (mais confirmés). Sans être complètement nouvelle (le GEPAN l’avait fait en son temps, et le GEIPAN avait en fait déjà établi des collaborations avec de tels enquêteurs mais de manière non publique), il s’agissait là d’une ouverture qui détonait avec l’époque plus reculée, moins transparente, et où la compétence était reconnue de manière plus formelle qu’objective. La démarche du GEIPAN, résolument moderne (tout comme la transparence affichée par la publication du rapport d’activité du groupe par son comité de pilotage), témoignait pour le moins d’une véritable volonté du groupe de remplir sa tâche, en proposant une solution au problème de moyens insuffisants face à une demande croissante (encore une fois dopée par l’amélioration de communication).
C’est là le genre de travail de fond louable qui peut être éclipsé par les déclarations d’un Mitchell en quelques minutes d’interview radio. Si l’on accepte ces déclarations telles quelles, on oublie tout, toute recherche perd son sens. Les aliens sont là, point barre. Pas la peine de publier des archives d’enquêtes, d’en mener de nouvelles, d’analyser les données, de chercher de nouvelles méthodes, de construire de nouveaux instruments, puisqu’on nous dit la “vérité”, et que de surcroît on serait fondé à la croire, puisque c’est quelqu’un de “respectable”, quelqu’un du “bon côté du savoir”, qui nous le dit (un bel exemple réminiscent du “grand partage”). C’est la différence entre ufologie et ufomanie, où les réponses seraient accessibles par ces raccourcis que sont déclarations, intimes convictions et autres interprétations subjectives (tel comportement est “intelligent”, “ostensible”, etc.).
On a heureusement aussi le choix d’examiner plus factuellement les déclarations de Mitchell avant de les pondérer à l’aune de son curriculum. Que dit-il ? Pour faire simple, rien. Rien de plus que ce qu’on dit dans les milieux exo-conspirationnistes depuis 50 ans. Les aliens sont là, et la révélation générale est pour demain. Quelles sont ses sources ? Des sources confidentielles, fantômatiques. On m’a dit que. Mais comme je suis astronaute et que ce sont des huiles qui me l’ont dit, vous pouvez me croire. Et parce que ”il se trouve que je suis né à Roswell (…) je connais plutôt bien le sujet”. Effectivement, on peut pas lutter. En vérité Mitchell ne fait rien d’autre que resservir un discours archi-classique (qu’il a déjà lui-même servi il y a 10 ans), n’étayant ses propos par rien en dehors de sa position, ses connaissances, et des sources jamais nommées, que le “courage” de parler de Mitchell ne semble pas avoir contaminé. Effectivement, ça valait le coup d’en faire tout un foin.
Ce n’est pas ce que dit Mitchell qui pose problème, c’est la manière dont il l’argumente. Aurait-il donné des éléments solides, vérifiables ou au moins investiguables, que sa position, ses contacts, son curriculum aurait plus leur donner encore plus d’importance. Mais là, cent fois zéro, ça fait toujours zéro.
L’ufologie, elle, en tant qu’étude, n’est pas seulement obscurcie et décrédibilisée (amalgame du grand public oblige) par de telles sorties. Elle est aussi phagocytée par ces dernières. D’un côté des déclarations comme celles de Mitchell les relèguent à d’ennuyeuses études (tout comme il est plus amusant d’imaginer lire son avenir dans l’astrologie que d’aligner des formules astronomiques) mais de l’autre elles n’oublient pas d’en tirer le meilleur. Dans le monde ufomane, si les français ont publié leurs archives, ce n’est certainement pas pour dire “voyez qu’on a rien à cacher” (comme le rappelait encore Jacques Arnould du COPEIPAN sur Europe 1 vendredi soir dernier), mais parce qu’il s’agit d’une étape de conditionnement et de divulgation progressive du secret bien sûr. Idem pour la publication les archives britanniques (pourtant initiée à force des efforts FOIA de l’ufologue David Clarke et de ses collègues Joe McGonagle et Gary Anthony). Et si Mitchell parle maintenant, c’est sans doute parce qu’il a dû recevoir un “feu vert” pour une divulgation imminente… alors qu’il en parle depuis 10 ans.
C’est ainsi. La crédibilisation ou du moins popularisation d’un sujet profite aussi à ceux qui le maltraitent. Mitchell ou d’autres emportent avec eux les efforts d’ufologues sérieux, et Mitchell lui-même n’échappe pas à la règle. Peu après sa déclaration, un de ses “collègues” en a profité pour rappeler que lui aussi connaissait la vérité. Un témoignage plus sensationnel encore, avec des ETs bien réels observés sur écran de contrôle, au sein même de la navette spatiale. A phagocyteur, phagocyteur et demi.
Mitchell n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il y en aura après, et il y en a eu avant, comme la “Lettre ouverte au Président de la République” envoyée mi-avril à de nombreux sites et blogs (dont RR0), signée comme il se doit d’une brochette de personnes aux titres impressionnants (docteurs, contre-amiral, directeur de recherche…), et s’alarmant du peu de préparation du monde — et à fortiori du pays — face à la menace potentielle que représenteraient par les ovnis… si, bien sûr, on les interprète comme manifestations extraterrestres. Dans ce cas, sans même être hostiles, leur intrusion sur Terre serait dévastatrice pour l’humanité. A cette préparation, le GEIPAN ne suffirait évidemment pas, ne serait-ce que face à la désinformation orchestrée par les Etats-Unis. Mmh… ça vous rappelle pas quelque chose ? Évidemment, en 1999, un autre artefact médiatique, le rapport COMETA avait dit la même chose. Adressé au même destinataire, mais aussi au 1er ministre (à l’époque la distinction avait un sens), il n’avait visiblement pas provoqué plus d’émoi que çà à la tête du pays, et ce malgré des signataires non moins prestigieux, et un nombre de pages plus conséquent. Preuve en est qu’aujourd’hui, c’est le même message qui est répété par des sympathisants de ce même courant exo-conspirationniste. Des auteurs différents donc, une somme de travail différente aussi (pas la peine de se retaper la rédaction de tout un rapport si c’est pour dire la même chose, voire se faire encore envoyer sur les roses), mais pour un contenu identique (pas de faits nouveaux, pas de preuves, et toujours les mêmes présupposés sur l’origine ET des ovnis, le fait qu’ils pourraient décimer l’humanité et que les USA ou d’autres nous désinformeraient à leur sujet — expliquant ainsi pourquoi ils n’arriveraient pas à convaincre), et bien sûr les mêmes procédés (on a pas de preuves ni vraiment d’arguments solides mais on a de belles signatures ça devrait suffire). Ce “Rapport COMETA en une page” (il n’y avait finalement pas besoin de plus), est certainement mû par une préoccupation sincère. Mais c’est mettre la charrue avant les bœufs (en espérant que ça passe en surfant sur la mode du “principe de précaution”), au prix d’une décrédibilisation de plus.
Bref, il y a toujours des gens que vous n’aimeriez pas avoir dans votre camp (celui où on vous range par amalgame). Bien sûr qu’il faut donner plus de moyens à l’étude des ovnis, mais pour les comprendre, pas parce notre intime conviction (pour ne pas dire plus) implique qu’ils pourraient être extraterrestres et bouleverser la terre par leur arrivée. On ne peut sonner l’alerte avant de convaincre de la réalité d’une menace. Non seulement ça ne sert à rien (personne ne bougera parce que personne n’est convaincu), mais c’est contre-productif. Oui il faut plus de moyens pour l’étude des ovnis, une étude plus large et avec plus d’ambition peut-être (quoiqu’il faille éviter de reproduire éternellement les mêmes études du passé), mais pour valider ou infirmer une hypothèse. Les intimes convictions de quelques ufologues ou prétendus sont loin de faire le compte. Il faut commencer par (ré)concilier science et ufologie. Fantasmer une origine inquiétante et une désinformation liée au problème pour déclencher (par la peur) des moyens supplémentaires (et peut-être injustifiés) est non seulement prendre le problème à l’envers, mais aussi le cantonner, l’ancrer encore un peu plus dans sa gangue irrationnelle et conspirationniste.
Mais rien n’est perdu, comme le prouve la toute récente publication du rapport d’enquête sur l’observation d’Aurigny. Un rapport d’amateurs (encore), réalisés sans moyens, mais qui n’a rien à envier aux meilleurs rapports officiels. Juste des gens de qualités complémentaires, ayant fait l’effort d’une longue enquête, qui conclut après avoir passé l’événement au crible de moult explications potentielles ne pas en trouver une totalement satisfaisante. Le cas d’Aurigny reste à ce jour, et après un travail de qualité, inexpliqué. Comme quoi l’inexpliqué n’est pas l’apanage du sensationnel.