Juste une mise au point

La conspiration étant devenue depuis les années 1950s un thème récurrent du folklore ufologique, il était temps d’y consacrer un ouvrage entier. Après le livre de François Parmentier (Ovni: 60 ans de désinformation) qui, étonnamment, n’avait reçu jusque là pratiquement que des louanges malgré une position fortement marquée, il était temps que cette parole unique soit équilibrée d’un autre son de cloche. OVNIs : ce qu’ils ne veulent pas que vous sachiez est le titre du nouvel ouvrage de Pierre Lagrange sur le sujet.

RR0
21 min readOct 28, 2020

Article initialement publié le 28 juin 2007

Nous connaissons tous ces histoires de conspirations : les militaires, les scientifiques, savent, mais ne veulent rien dire. Ils pratiquent un double-langage, alternant déclarations publiques rassurantes voire méprisantes et études confidentielles sur le sujet. Pour Lagrange la question n’est pas de savoir s’il faut ou non contester ce fait, aujourd’hui historique, mais de comprendre ce qui a motivé ce comportement. Une réelle conspiration… ou autre chose ? Pourquoi les militaires et autres services officiels ont-ils considéré qu’il était dangereux de prendre publiquement au sérieux les soucoupes volantes ? Egalement, autre question qui taraude les ufologues : pourquoi les scientifiques semblent-ils avoir décidé d’ignorer, voire de nier des phénomènes qui auraient dû, au contraire, éveiller leur curiosité ?

Avant d’imaginer une entente de tous ces gens dans le cadre d’un plan organisé dont on peine toujours à trouver — mais ne cessera jamais de chercher — des preuves réellement convaincantes, Lagrange replace l’événement dans son contexte : en cette période d’après-guerre où apparaissent les premiers témoignages de soucoupes (pas d’ovnis au sens strict, de soucoupes), la science a atteint un stade de “professionnalisation” où le “Grand Partage” entre culture populaire et science “établie” est devenu étatique. En une cette période aussi trouble et fragile, les militaires mais aussi la science sont des composantes d’un pouvoir qui développe sa propre paranoïa (la crainte constante d’une attaque russes qui fut l’une des hypothèse d’explication des ovnis, la surveillance de chaque citoyen par le FBI qui suspecte que les soucoupes puissent être une intoxication des “rouges”, le McCarthysme…) et qui ne saurait être désorganisé, déstabilisé par des prétentions de personnes qui n’y sont pas directement affiliées. Seuls les scientifiques “officiels” sont respectés comme tels et habilités à rapporter des phénomènes de manière “sérieuse”, de manière scientifique (l’exemple le plus flagrant étant peut-être le mémo de Robert Low, coordinateur du projet Colorado). Les amateurs-experts des sociétés savantes de naguère, tels Flammarion ou d’autres, n’y auraient plus leur place. Les signalements de phénomènes inexpliqués par le peuple représentent donc plus un danger plutôt qu’une opportunité de découverte pour ces chercheurs qui se muent en éducateurs. On reproche aux témoins d’être peu fiables, subjectifs, bref : de l’autre côté du “Grand Partage”. Les militaires et organes de renseignement, eux, ne sont pas en reste. Là aussi, la paranoïa ambiante entretenues dès les années 1950s a naturellement développé une politique de double-langage qui leur permette de contrôler l’information, trop sensible pour être ouvertement discutée, surtout quand, après étude, on ne sait toujours quoi penser. Officiellement il n’y a pas d’ovnis sérieux, et tout aussi officiellement, on les étudie, mais en secret.

Comment ne pas crier au complot en découvrant cela ? Car les gens ne sont pas stupides. Donald Keyhoe en tête, ils décèlent rapidement le décalage entre les faits et leur analyse par ces instances officielles. Ils constatent bien, aussi, les contradictions entre les experts. C’est donc là le 1er diagnostic de Lagrange : oui des scientifiques ont éludé le problème, oui des militaires ont caché des choses et, si on les accuse de conspiration, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Mais le 2ème élément arrive immédiatement après, comme un boomerang. Si on ne peut reprocher au public de dénoncer un tel comportement, il convient toutefois de ne pas tomber dans une dérive qui va embourber le débat, dans une controverse bloquant toute avancée. Une controverse sur les données d’abord, dont la fiabilité relève des scientifiques, pas des témoins. A-t-on déjà vu un scientifique baisser les bras devant un problème parce que son instrument à une trop grande marge d’erreur ? Non, il cherchera une meilleure manière de capter des données, plus fiables. Une controverse sur les motivations de chacun ensuite, où l’on ne peut s’empêcher de voir, à la manière d’un Parmentier, un complot organisé dans toute attitude ou position allant à l’encontre de la réalité des ovnis ou de l’HET. Un rationaliste, même s’il s’égare dans un extrémisme scientiste, peut simplement être sincère, et convaincu d’oeuvrer pour le bien et contre l’obscurantisme d’une “pseudo-science”. De la même manière, leurs opposants ufologues peuvent penser sincèrement, eux aussi, lutter contre l’éludation d’un problème important. Bref, avant de supposer un complot scientiste ou croyant, ne pas oublier que la sincérité, l’erreur, ou même la simple bêtise peuvent aussi expliquer la réalité des comportements et des opinions. Également que des gens très compétents peuvent se tromper, délirer, avoir des a prioris, faire des canulars, ou simplement des erreurs de jugement. Le meilleur exemple en est que ce sont justement les comportements de ces scientifiques et militaires “étatisés” qui ont alimentés le climat de suspicion qui les dé-crédibilise aujourd’hui aux yeux de l’opinion. Des comportements qui ont contribué, chaque jour un peu plus, à forger cette grille de lecture déformée de la réalité, qui pollue encore aujourd’hui l’appréhension du sujet. Chaque découverte d’un mensonge, sur laquelle ont surfé des fictions comme X-Files, a contribué a tisser dans le microcosme ufologique le canevas de cette nouvelle grille de lecture du monde, jusqu’à s’en couper totalement. Or ce n’est pas en se coupant du monde, et des scientifiques en particulier, que l’ufologie réussira à sortir de l’ornière. Si l’on veut faire reconnaître l’ufologie, Il faut l’intégrer, la réconcilier avec la science. L’inverse est sans issue.

Lagrange fait ensuite remarquer que cet état de fait est d’autant plus regrettable lorsque ce sont ceux qui condamnent le complot qui ne donnent pas l’exemple. Certes, on peut reprocher des choses aux américains en matière de transparence, voire même de démocratie, mais quid de la France à ce sujet ? Dispose-t-elle du FOIA ? Tous les documents sur les ovnis sont-ils accessibles, qu’il s’agisse des rapports du conseil scientifique du GEPAN ou de l’Armée ? La composition des membres du comité de pilotage du GEIPAN est-elle connue ? Celle de tous les membres du COMETA et rédacteurs de son rapport ? Ce dernier a-t-il traité le contenu de la vague belge, du rapport de Pocantico ? Au-delà du discours d’ouverture et de collaboration, ces organismes travaillent-t-il vraiment avec des amateurs, ou sont-ils restés bloqués dans la vision du “Grand Partage” ? Bref, le double langage, n’est pas forcément l’apanage des américains, et le schéma “science en France, désinformation aux Etats-Unis” est peut-être un peu simpliste.

Certes, les conspirations, les désinformations ont existé, existent et existeront. Ce ne sont pas des mythes. Mais ce ne sont pas toujours celles que l’on croit. Il faut savoir faire la distinction entre conspiration avérée (comme le double langage de l’armée dans les années 1950s) et conspiration supposée (les militaires américains en savaient plus à l’époque que ce qu’indiquent les archives déclassées d’aujourd’hui). Entre les deux réside la notion de preuve, sur laquelle les ufologues et scientifiques devront peut-être plus se pencher pour faire avancer l’ufologie. Et l’on pourrait se poser la question : si les scientifiques n’ont pas voulu ouvrir au peuple la porte de la science, était-ce seulement parce qu’ils les considéraient comme incompétents et subjectifs ? Après tout, ils savaient bien qu’ils ne pourraient être systématiquement compétents et objectifs. C’était à eux de savoir exploiter ces données, quelles qu’elles étaient et telles qu’elles étaient, quitte à inventer de nouvelles méthodes, voire de nouveaux instruments, pour les traiter. C’est peut-être cette étape qui leur manquait aussi, et qu’il nous faut maintenant franchir.

Qui sont donc les scientifiques qui réconcilieront le problème ovni et la science, alors qu’ils quittent aujourd’hui progressivement leur d’ivoire ? Le règne des experts “professionnels” est en train de laisser place à celui d’une science plus démocratique, où “experts amateurs” (comme l’étaient Flammarion ou d’autres) peuvent apporter leur pierre. Mais on peut craindre que cela ne se fasse si facilement. D’abord parce les amateurs devront se montrer à la hauteur, ensuite parce que la science institutionnelle pourrait avoir du mal à s’y adapter. Les protestations du public firent bouger les choses aux USA en 1966, mais pour au final pour évacuer le problème malgré le travail de non ou ex-officiels américains (Hynek, Vallée, Sagan, Page, Morrison, Powers, Sturrock…). Aujourd’hui en France, le CNES et les organismes affiliés se disent preneurs des témoignages et collaborations avec des amateurs. Espérons qu’il ne s’agisse pas que d’une ouverture de façade.

D’autres éléments et arguments émaillent le livre de Lagrange, qui après la réédition d’ouvrages de référence comme le livre de Karl Pflock sur Roswell (Roswell, l’Ultime enquête, Terre de Brume, janvier 2007) ou l’étude de Bertrand Méheust sur le rapport entre science-fiction et soucoupes volantes (Science-Fiction et soucoupes volantes, Terre de Brume, mai 2007), marque par son appréhension sans compromis de l’attitude du SEPRA et de son directeur, du livre de Parmentier (presque point par point), ou du COMETA. On y découvrira aussi avec délectation un trop rapide flashback sur l’histoire de l’ufologie française, et nombre de documents officiels inédits (146 pages sur 367 !) dont, pour la 1ère fois dans sa langue d’origine, le fameux rapport de l’association des anciens auditeurs de l’IHEDN en 1977.

Commentaire de JCD le mardi 7 août 2007 à 19:06 :

Complot ou pas complot ?
Et quid du pouvoir dans tout çà ?
Faisons un peu de fiction :

Un beau matin, comme dans Independance Day, des vaisseaux arrivent de partout. Des E.T. prennent contact avec nous. Tout se passe bien. C’est un grand pas pour l’humanité.

Conséquences :
- Le pouvoir politique a-t-il encore une chance d’exister. Les mensonges electoraux seront-ils seulement écouté face au formidable phénomène que nous vivons ?
- Comment la religion va-t-elle pouvoir prétendre régir la vie des fidèles. Dieu a créé l’homme à son image. Si les E.T. ressemblent à des poele à mazout, bonjour le choc !
- Le sacro-saint argent va devenir rapidement obsolète et l’économie va s’écrouler si les E.T. sont suffisamment évolués pour nous apporter des solutions novatrices.
- Les scientifiques deviendront-ils des has-been face au savoir des E.T. ?
- Les militaires sans guerre seraient bien désoeuvrés !

Bien sur, si les E.T. sont moins cons que nous, ils ne feront pas une telle incursion au risque de créer un choc culturel destructeur. Mais pour les pouvoirs en place, ne prenons pas de risque. Il serait dangereux que la populace envisage ne serait-ce qu’une seconde que quelque chose soit possible. Nions tout, nommons aux postes de responsable des recherches des incompétents notoires, désinformons quand c’est nécessaire et le tour est joué ! Après nous le déluge.
Mais bien sûr, je vois le mal partout ;)

Alors complot ou pas complot ?

Réponse de Jérôme Beau le mardi 7 août 2007 à 20:28 :

Bonjour Jean-Claude,

Dans votre commentaire vous semblez vouloir prouver l’existence d’un complot par le seul fait qu’une absence de complot serait dévastatrice. C’est au moins oublier une 2ème condition, à savoir que des extraterrestres nous visitent, ce qui est loin de faire consensus. Si vous voulez éviter de batir un raisonnement circulaire (l’absence de consensus est justement due au complot visant à cacher l’existence de visites extraterrestres qui ne fait pas consensus à cause du complot qui vise à cacher les visites extraterrestres qui ne fait pas consensus à cause de…) il n’y a d’autre alternative que de prouver l’existence de visites extraterrestres indépendamment d’une théorie de complot. Ou de conclure, “par défaut” en quelque sorte, qu’il n’y a pas de telles visites.

Mais l’on voit bien qu’aucun de ces raisonnements n’est satisfaisant. Si un complot peut être prouvé (mais alors il faut en apporter une preuve indépendante de la théorie du complot), il ne peut être nié (on ne peut démontrer que quelque chose n’existe pas). De la même manière, des visites ET ne peuvent être niées, puisqu’on ne sait pas, en fait, comment les caractériser, et donc comment les nier. Il ne semble pas justifié de conclure “par défaut”, alors que la vérité est que l’on ‘’ne sait pas’’ si des extraterrestres nous visitent. On peut le penser, en être convaincu même, ou convaincu du contraire, mais aucune conclusion ne peut l’emporter avant de savoir ce qu’ils sont, de les caractériser. On pourrait bien sûr dire que nous savons les caractériser : ce sont les ovnis que nous voyons. Outre le fait que ces caractéristiques soient loin d’être évidentes (cela suppose de définir une cohérence en terme d’apparence ou de comportement dans l’ensemble des cas d’ovnis inexpliqués, et surtout d’isoler des caractéristiques que l’on ne retrouverait jamais dans des cas expliqués), cela reviendrait à poser comme hypothèse ce que l’on veut démontrer. Prétendre alors que ce qui n’est pas expliqué, ce qui est extraordinaire, ne peut-être qu’extraterrestre est aussi un raisonnement par défaut, le symétrique exact du “réductionnisme” rationaliste qui réduit l’inexpliqué à l’expliqué (sauf qu’en l’occurrence on réduit le champ de l’inexpliqué aux extraterrestres).

C’est donc là que le travail reste à faire : à défaut de pouvoir prouver un complot (peut-être parce qu’il est plus fort que tous les autres complots, peut-être par ce qu’il n’existe pas), comment prouver des visites extraterrestres ? La tâche semble bien difficile. Comme une réponse au paradoxe de Fermi, peut-être nous visitent-ils sans que nous soyons capables de les reconnaître. Mais c’est là aussi une hypothèse infalsifiable.

Commentaire de Antoine Block le vendredi 24 août 2007 à 22:36 :

Bonjour Jérôme,

Tout d’abord, je tiens à vous féliciter et vous remercier pour votre travail. Votre site est l’un des plus fiables sur le sujet (avec ufologie.net que j’apprécie aussi beaucoup).

Pouvez-vous développer un peu les critiques (si j’ai bien compris) que Lagrange adresse à Parmentier ? Le livre de ce dernier fait référence et me paraît relativement objectif, même si l’on sait bien que la religion de Parmentier est faite. Du moins est-ce une étude sérieuse et documentée. Du moins, en ai-je l’impression. Alors… ?

Par ailleurs, il y a un point théorique qu’il faut évoquer concernant “la” théorie du complot (les théories, faudrait-il dire plutôt, depuis le 11/09 jusqu’à l’assassinat de Kennedy en passant par les “mystères” des pyramides et Skull&Bones). Considérer que l’idée même d’un complot relève nécessairement d’un délire paranoïaque ne relève pas de l’argumentation mais de l’intimidation : “Penser cela est, par définition, une hérésie, une folie et/ou un délit”.

Bref, si j’œuvrais à un complot bien réel, la première tâche à laquelle je m’attèlerais c’est de le cacher. Et pour cela, je ferais en sorte que le simple fait d’émettre un début de questionnement sur l’éventualité de l’existence possible d’un complot soit absolument irrecevable, avant même d’entrer dans l’argumentation. C’est la définition de l’hérésie et/ou du délit : on condamne avant toute discussion. Et c’est exactement ce qui se passe.

Ce simple constat (nul ne peut évoquer l’hypothèse d’un complot sans être immédiatement taxé de délirant ou fachisant) inciterait à lui seul… à considérer la théorie du complot avec sérieux !

Encore faudrait-il s’entendre sur la définition même du “complot”. Mon dictionnaire indique comme définition : “Résolution concertée en commun et secrètement contre quelqu’un et particulièrement contre l’Etat”. Synonymes : cabale, conjuration, conspiration, intrigue, machination. Il est indéniable (parce que démontré chaque jour)que de tels complots existent, en particulier dans les domaines politiques et économiques. Là où les enjeux sont les plus forts, la tentation du complot est un ressort stratégique de base.

La question ne porte donc pas tant — me semble-t-il — sur l’existence ou non des complots, mais sur l’objet de ces complots. Concernant l’hypothèse extra-terrestre, je vous rejoins : tout ce qu’on sait c’est qu’on ne sait rien. Avant de se demander s’il y a ou non un complot visant à cacher l’existence de visites ET, il faudrait d’abord attester la réalité de celles-ci. L’hypothèse du complot devient alors accessoire et, finalement, très logique.

Tant que nous ne savons pas ce que seraient ces éventuels extra-terrestres, par défiition nous ne pouvons pas les démasquer (dans l’hypothèse “ils sont cachés parmi nous”). David Vincent savait qu’ils avaient le petit doigt tout raide, et c’est ainsi qu’il pouvait reconnaître les Envahisseurs ! Mais nous, nous ne savons pas quoi chercher, nous manquons d’un tel signe. C’est donc une impasse logique et dans l’attente de nouvelles connaissances, toute spéculation est parfaitement stérile.

Réponse de Jérôme Beau le samedi 25 août 2007 à 00:08 :

Bonjour Antoine,

Merci pour vos encouragements concernant RR0. Je suis globalement d’accord avec l’ensemble de votre commentaire.

Dans son dernier livre, Lagrange fait effectivement une lecture très critique du livre de Parmentier. Le meilleur moyen de les comprendre reste sans doute de les lire, mais je dirais que son sentiment est globalement le même que celui que j’ai eu à sa lecture : l’objectivité des faits présentés ne justifie pas l’interprétation qui en est faite. Le travail de Parmentier est effectivement truffé d’une masse de références à des documents ou faits réels, mais rien n’autorise nombre de raccourcis qui sont faits à partir de ces données objectives. La mise en évidence d’un secret n’implique pas forcément que ce secret soit lié aux ovnis, la mise en évidence de documents traitant d’ovnis ne signifie pas forcément qu’ils traitent de vaisseaux extraterrestres, et le fait que des officiels envisagent que des ovnis seraient des vaisseaux extraterrestre n’implique pas forcément que ce soit le cas. Lagrange commence d’ailleurs sa critique sur cette utilisation systématique de l’argument d’autorité : les militaires, les experts, les services secrets, ne se tromperaient jamais. Le doute ne ferait pas partie de leur monde. S’ils l’ont dit, l’on écrit, c’est que c’est sérieux, c’est que c’est vrai (il n’y aurait qu’à avaler tout cru le livre de Corso alors, s’il n’était contredit par les déclarations d’autres militaires)… quand ils accréditent l’idée d’un complot sur les ovnis bien sûr. Car lorsqu’ils expriment bel et bien un doute, ce ne peut être que pour cacher la vérité. Parmentier est là pour nous éclairer, et lever leurs ambiguïtés. De l’hypothèse, du questionnement, Parmentier nous guide, sans presque que l’on s’en rende compte, au travers de frémissants raccourcis où la réalité pourrait se démontrer, au pire par projections et interprétations, et au mieux par de simples “constats” ou “aveux”, sans qu’aucun autre travail soit nécessaire (ce qui, rappelle Lagrange, est en contradiction avec toute l’histoire des sciences, et est finalement un problème récurrent en ufologie, où un “fait” est simplifié à un témoignage “crédible” ou autre indice destiné à une controverse sans fin). Bref, le livre de Parmentier, malgré ses précautions oratoires au début de ses textes, annonçant ses efforts pour ne pas voir des ovnis partout, échoue malheureusement à respecter ce voeux pieu et tombe toujours dans la mono-interprétation (un peu le même travers que lorsque l’on cherche une explication unique au “phénomène” ovni) : tous les faits, toutes les hésitations, les accréditations, les contestations mêmes, ne sont là que pour valider l’hypothèse sous-jacente d’un complot visant à cacher l’existence de vaisseaux extraterrestres connue des autorités américaines (la position du COMETA). On pourrait se dire que tout cela a le mérite de la cohérence, mais ce serait oublier que cohérence n’est pas synonyme de réalité : nombre de grilles de lectures du monde (complotistes, religieuses ou autres) sont cohérentes en elles-mêmes, mais font peu de cas de preuves les raccrochant à la réalité (et résolvent généralement cette “dissonance cognitive” en intégrant l’absence de preuve ou l’échec de prédiction dans leurs croyances).

Vous indiquez ensuite que la négation du complot en général relève de l’hérésie, de l’intimidation, ce qui est tout à fait vrai. Comme vous le dites, ce ne sont pas les théories de complot en tant que telles qu’il convient de mettre en cause, mais leur objet, et donc leur argumentation, et la dérive qui consiste à en faire une idéologie. Une position qui, quelque part, rejoint l’idée que, en science, il n’y a pas de mauvais sujets, juste de mauvaises (i.e. non-scientifiques) manières de les aborder. Cependant Lagrange ne nie pas du tout l’existence de complots en général. Comme vous le suggérez également, ce serait une manière bien grossière et simpliste de contester des complots. Il confirme au contraire l’existence de certains mensonges officiels, comme ceux de l’armée américaine au sujet des ovnis dans les années 1950s, motivés par l’idée de ce “grand partage” entre ceux qui doivent savoir (les autorités) et ceux à qui on ne peut pas dire (le public). En sociologue des sciences, Lagrange est toutefois moins intéressé par cette idée de “désinformation”, typiquement militaire (et qui semble être l’ingrédient incontournable de tout conspirationnisme) que par cette confiscation du savoir, et même de la qualité d’observateur, par les scientifiques de l’époque craignant tant le retour de la culture populaire, irrationnelle, dans laquelle on range les soucoupes. Ainsi, si les militaires et services secrets ont simplement menti pour des raisons qu’ils pensaient justifiées par la sécurité nationale (ne pas dire qu’on ne sait pas, ne se prêter le flan à des manipulations peut-être communistes), le véritable complot, au sens d’une action pour garder le pouvoir, a plus été l’oeuvre des scientifiques. Lagrange dit simplement qu’entre ce type de complot et un complot mettant en cause une réalité de visites extraterrestres cachée par les autorités, ce dernier reste à démontrer. Comme il dit ne pas croire à l’hypothèse extraterrestre pour le cas de Roswell, sans pour autant la rejeter dans d’autres cas. On ne peut prétendre démontrer quelque chose par une grille de lecture biaisée (argument d’autorité, raccourcis, intime conviction), voire sélective (faisant peu de cas de documents militaires se plaignant de ne pas trouver de preuves, justement), qu’il s’agisse d’ovnis ou de l’idée que l’on se fait d’une personne.

Bref, encore une fois, j’ai trouvé utile cette critique argumentée du livre Parmentier (bien plus précise que je ne le suis ici, citant et répondant concrètement à de nombreux éléments de Parmentier) était nécessaire, ne serait-ce que pour des raisons de pluralisme. Entre les éloges assourdissantes de ceux qui saluaient un livre démasquant enfin cette supposée désinformation de manière apparemment “sérieuse” et “crédible” (notamment en raison d’une documentation qui pouvait impressionner, de par les nombreuses références qu’il cite) et le silence de ceux qui ne prenaient même pas la peine de l’examiner tant le sujet-même (les ovnis) était supposé peu sérieux, il manquait une critique véritable, argumentée, de ce livre qui a tout de même bénéficié d’un large prosélytisme, jusqu’aux réunions du COPEIPAN. J’avais régulièrement apprécié les interventions de Parmentier du temps de la liste Ovni-sciences, de par leur ouverture et leur réflexions souvent pertinentes, mais force est d’avouer que, là, j’ai été déçu.

Réponse Antoine Block le samedi 25 août 2007 à 23:19 :

Merci pour ces précisions.
On ne peut en effet qu’approuver l’exigence méthodologique de Lagrange. Je comparerais volontiers la situation où se trouve l’ufologie à celle d’un procès en l’absence de preuve décisive. La traditionnelle question “Cet homme est-il coupable ?” est remplacée par “Les visites ET sont-elles une réalité ?”. S’il ne dispose pas d’une preuve formelle (une “évidence”, comme disent les anglophones), le jury n’a pas d’autre choix que de s’en remettre à son “intime conviction”. C’est ce que fait Parmentier, au vu d’un “faisceau de présomptions” (pour filer la métaphore judiciaire) qui lui semble convaincant.

Il est vrai qu’en droit, l’absence de preuve est censée profiter à l’accusé et que celui-ci est présumé innocent tant que le jury ne l’a pas reconnu coupable. Donc, à défaut de preuve indiscutable, on devrait conclure que les VET n’existent pas (si l’on se place, bien entendu, dans le cas où l’on devrait rendre une décision, comme à l’issue d’un procès). C’est ce qu’on appelle un non-lieu.

PS = le lien vers la MAJ de l’orthothénie ne fonctionne pas. Message d’erreur :
“la page /science/crypto/ufo/analyse/orthothenie.html n’a pas été trouvée alors que vous veniez de http://www.javarome.org/post/2007/0... .”

Réponse de Jérôme Beau le dimanche 26 août 2007 :

Bonjour Antoine,

J’ai souvent entendu cette comparaison entre les méthodes judiciaire et ufologique (si tant est qu’il existe une méthode ufologique vraiment établie). Si on peut en comprendre l’origine (les similitudes avec l’enquête judiciaire glanant divers indices sur le terrain, souvent centrée sur le témoignage réputé subjectif, la difficulté qu’il s’ensuit de produire des preuves indiscutables), cela me semble en fait plus une manière d’illustrer un échec qu’un bon parallèle. Quel échec scientifique en effet que d’en être réduit à faire reposer son analyse d’un phénomène sur l’intime conviction !

Mais ce n’est pas là la seule conséquence perverse d’une telle comparaison : outre le fait de “normaliser” le recours à cette intime conviction (même si toute personne en a une, un(e) scientifique s’efforce de ne pas se reposer dessus, afin que ses résultats soient justement partageables et vérifiables par tous) elle assimile l’ufologie à une discipline où un “verdict” est attendu. Comme s’il n’était plus acceptable d’épiloguer trop longtemps sur le manque de preuves et que l’on était sommé de “trancher” à un moment donné. Trancher sur des cas inexpliqués dont on ne sait rien par définition, dont on devrait proposer une explication “par défaut” (de preuves), et généralement selon un mode qui fait l’économie de la complexité, bipolaire et manichéen, où “extraterrestre/non extraterrestre” remplace “coupable/non coupable”. Vous y croyez, ou vous n’y croyez pas. Vous êtes avec nous ou contre nous, comme a dit le (tristement) célèbre président américain. Car la conséquence serait bien sûr, outre de conclure sans fondements réels et peut-être d’affirmer le faux, de vous étiqueter dans un des camps de cette controverse finalement tout aussi improductive, au terme de 60 ans, que de ne pas se prononcer.

On peut comprendre que cette réticence à “trancher” soit perçue avec agacement de la part des 2 principaux camps de “convaincus”, et qu’ils l’interprètent comme une posture même, mais il s’agit simplement d’une attitude sceptique dans son sens originel : ne pas affirmer sans preuve, dans un sens comme dans l’autre. On ne peut donc affirmer que “les VET n’existent pas” (il faudrait le prouver), mais on peut affirmer que “il n’y pas de preuve que les VET existent”. Pour me risquer un instant à reprendre votre comparaison, je dirais que le “non-lieu” ne me semble donc pas adapté pour conclure sur l’affaire des ovnis (et serait certainement scandaleux pour les témoins). Il s’agit simplement d’une affaire encore en instruction.

Réponse de Antoine Block le lundi 27 août 2007 à 03:43 :

Bonjour Jérôme,

Quitte à sacrifier à ce qui pourrait passer pour de la flagornerie, je me permets de réitérer mes félicitations, non seulement sur l’ensemble de votre travail, mais aussi plus précisément pour votre ton, votre honnêteté, votre courtoisie, votre rigueur et votre mesure. Il est malheureusement assez rare de rencontrer dans le milieu ufologique quelqu’un qui semble “normal”, ni un illuminé agressif ou paranoïaque, ni un rationaliste sectaire, sûr de son bon droit et qui s’autoproclame gardien de la science. Merci, donc.

La comparaison que j’ai faite entre la procédure judiciaire et la situation de l’ufologie n’est pas seulement due aux similitudes méthodologiques existantes entre l’une et l’autre (enquête, témoignages, recherche de preuves, débats contradictoires, etc.). Je crois que le processus judiciaire est un paradigme qui peut servir de modélisation à la plupart des situations où une décision dit/crée le vrai. Je ne voudrais pas entrer ici dans des considérations philosophiques qui pourraient vous paraître oiseuses ou hors de propos, mais je crois que la distinction — binaire, pour le coup — entre ce qui “existe” et ce qui “n’existe pas” n’est pas aussi évidente que nous le croyons généralement. La mécanique quantique (et en particulier les travaux de Schrödinger) permettent peut-être (je suis béotien en la matière et je ne voudrais pas extrapoler) de fonder cela dans le domaine de la physique. Ces théories postulent que l’expérimentateur (le simple fait d’observer et les intentions de celui qui observent) influent sur les résultats d’une expérience. L’intentionnalité semble y jouer le rôle d’un agent physique à prendre en compte.

Quoi qu’il en soit, dans le domaine culturel (au sens large), il est incontestable que “l’invention” d’une notion, d’un concept ou d’une œuvre valent création de ceux-ci. Entre autres innombrables exemples, on sait que le sentiment amoureux est une invention du moyen-âge. C’est le genre littéraire de l’amour courtois qui a “modélisé” des sentiments qui se sont ensuite incarnés dans le réel jusqu’à être ressentis aujourd’hui par la plupart d’entre nous comme une chose viscérale dont “l’existence” objective ne fait aucun doute. De la même façon, la notion de paysage n’existe pas en soi; c’est une création progressive de la poésie et de la peinture entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Les mathématiques elles-mêmes (à la différence des sciences de la nature dont on pourrait dire qu’elles ne sont que la compréhension de phénomènes qui existent en-dehors d’elles et antérieurement à elles) constituent des “mondes” extrêmement solides, rigoureux et contraignants qui n’existent pourtant nulle part ailleurs que dans l’esprit des mathématiciens qui les élaborent. De la même façon, l’anthropologie des sciences nous dit que la structure des atomes ou de l’ADN est une représentation mentale qui fonctionne mais qui n’est pas “exacte” en regard d’une réalité objective. Une œuvre d’art n’existe en tant que telle (du point de vue social et institutionnel) que dès lors qu’elle est reconnue par les professionnels : si je fais une peinture, elle n’est pas considérée comme œuvre d’art, mais si des critiques écrivent dessus, si des conservateurs décident de l’acheter et de l’exposer dans leur musée, etc., alors la même peinture se TRANSFORME et devient ipso facto une œuvre d’art. On pourrait ainsi multiplier les exemples.

Quel rapport avec le processus judiciaire et l’ufologie me direz-vous ? Et bien, il me semble que le déroulement d’un procès et le fonctionnement des lois offrent une représentation simplifiée, comme “concentrée”, de ces phénomènes où ce qu’on apelle le réel est produit par une décision. Ainsi, une fois que l’accusé est reconnu coupable par le jury, il EST coupable. Dans ce cas précis, la décision d’un groupe d’homme (ou d’un juge) n’est donc pas qu’un avis; elle modifie le réel, elle est créatrice (d’un statut, d’un état de fait, d’une peine…). Même dans l’hypothèse d’une erreur judicaire, tant que le procès n’est pas révisé, le coupable reste coupable.

Le drame (et ce qui en fait aussi tout l’enjeu) du procès, c’est qu’il n’admet pas d’ajournement éternel. Il FAUT rendre une décision, ne serait-ce que parce que le sort d’un individu en dépend très concrètement. La justice n’admet donc pas la suspension du jugement, l’épochè chère à Descartes et aux stoïciens présocratiques. Mais il est vrai que dans le cas de l’ufologie, nul accusé ne croupit en détention préventive et que rien n’oblige à rendre un jugement en l’absence de preuves suffisantes.

Est-ce un “échec scientifique que d’en être réduit à faire reposer son analyse d’un phénomène sur l’intime conviction” ? Oui, sans doute. Comme c’est toujours une forme d’échec à l’issue d’un procès. Néanmoins, la justice est passée, selon l’expression consacrée. Quant aux sentiments des témoins que vous évoquez à la fin de votre message, ils m’évoquent les sentiments des familles de victimes. Dans les périodes de démagogie, la justice est instrumentalisée pour en faire un simple outil visant à donner satisfaction à la douleur et la rancœur des victimes. Mais telle n’est pas la fonction de la justice.

Et puis, pour reprendre les théories quantiques que j’évoquais en début de commentaire, il nous reste peut-être à inventer un système où A et non-A puissent coexister, où une chose puisse être simultanément vraie et fausse, réelle et fictionnelle… Vaste programme !
Excusez-moi d’avoir été long, sans doute un peu oiseux et, finalement, peut-être pas très productif.

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