Composer sans l’inconnu
En mai 2007 on apprenait la parution d’un livre de Eric Maillot, David Rossoni et Eric Déguillaume critiquant la manière dont le CNES a enquêté sur les ovnis depuis 30 ans (le GEPAN a été créé en 1977). Si l’on pouvait s’accorder sur certains reproches à faire à l’organisme, l’objectivité de ceux-ci se trouvait remise en cause par la conclusion de l’ouvrage : sans le prouver, les auteurs indiquaient penser que les phénomènes étudiés, et tous les cas d’ovnis en général, pourraient en fait être tous explicables par des phénomènes connus. Théoriser l’inexistence de PAN D (i.e. que tous les cas inexpliqués ne seraient que des phénomènes connus non reconnaissables) comme une solution possible à l’équation des ovnis est une chose, mais encore faut-il le faire avec des arguments honnêtes. Au-delà du livre paru, un article récent des 3 mêmes auteurs fait naître des doutes à ce sujet.
Article initialement posté le 21 janvier 2008.
On trouve certes dans cet article (“Ovnis: des enquêtes sujettes à caution”, Pour la Science n° 364, février 2008, pp. 30–31) des choses vraies et intéressantes : une critique de l’argument d’autorité (la profession d’un témoin ne l’exempt pas de faire des erreurs, un argument qu’il serait bien d’appliquer aussi quand un tel professionnel rationalise les ovnis à l’excès), une critique du syndrome du “témoin parfait” (même incapacité de certains enquêteurs et/ou analystes à intégrer la possibilité d’erreurs chez le témoin, mais cette fois indépendamment de sa profession) ou la nécessité de revoir l’évaluation de cas anciens étudiés par le GEPAN ou le SEPRA, les ancêtres du GEIPAN.
Et c’est par contre là que le bas blesse tout d’abord : bien que rappelant l’historique de succession d’organismes (aux directions, compétences, moyens, voire objectifs différents au fils des années) au début de l’article, l’article procède tout du long à leur amalgame au GEIPAN actuel. Après tout c’est le seul qui reste en vie. On reste toutefois désolé de voir reproché au GEIPAN (créé en 2005) des erreurs de ses ancêtres, un peu comme une condamnation à ne pas s’améliorer ou, pire, une condamnation a priori de toute étude des ovnis qui oserait conclure à l’existence de mystères.
Mais on doit tout de même reconnaître que certains reproches (à croire qu’il n’y a que ça à dire, que çà à faire) sont directement adressés au GEIPAN. Si celui-ci poursuit effectivement son travail de publication de ses archives, il ne publie rien des enquêtes récentes (se sont-ils informés de savoir si elles étaient bouclées, ou si le manque de moyens empêchait simplement de faire plus vite ?). Également, il n’informerait pas les gens sur les possibilités de méprises, ces listes d’explications génériques. Cependant si l’énumération de celles-ci est bien pratique pour fournir des explications potentielles à tout (et donc à donner des réponses toutes faites au public), elle n’aide en fait que bien peu à une véritable compréhension du problème, qui passe sans doute par un examen de cas concrets d’OVIs. Car c’est bien en examinant ces derniers, l’un après l’autre, que l’on commence à comprendre, non seulement comment des phénomènes connus peuvent générer des témoignages d’ovnis, à la faveur de conditions souvent insoupçonnables, mais aussi et surtout dans quelle mesure ils peuvent être indiscernables de descriptions de “vrais OVNIs”, ces PAN restés inexpliqués. Les PAN A, expliqués, sont, eux, bel et bien publiés par le GEIPAN, et si quelque défenseur de la Théorie Réductionniste Composite (TRC) voulait appuyer sa position, il serait mieux inspiré d’en dresser un tel catalogue que de reposer sur des explications génériques. S’il est difficile d’admettre qu’un pilote puisse mal interpréter une rentrée atmosphérique en général, il est toujours frappant d’en consulter un cas avéré que des cas supposés.
Mais l’organisme actuellement en charge des ovnis au CNES n’est décidément, et malgré ce que semble indiquer l’article, pas la cible principale des reproches. Certains apparaissent d’une mauvaise foi considérable : certes, le GEPAN ne s’est rendu sur les lieux de la rencontre de Cussac (1967) que 11 ans après les faits… mais c’est parce qu’il n’a été créé que dix ans plus tard ! Et le GEPA, lui, prédécesseur non officiel de l’organisme auquel collaborait son futur directeur Claude Poher, s’est bel et bien rendu sur les lieux dès 1967. On a également du mal à comprendre le même reproche fait à propos de l’enquête sur le cas du vol Air France 3532, dont l’enquête n’a pas été “menée que 3 ans après sa médiatisation”. Non seulement Jean-Jacques Velasco (alors directeur du SEPRA) l’a découvert par hasard — au détour d’une conversation avec un capitaine du CCOA — et le classera comme PAN C faute d’informations suffisantes, mais ce n’est qu’après que le témoin principal lui-même sorte du bois 3 ans après sa propre observation et écrive à Velasco que n’aura pu se déclencher une enquête plus informée débouchant sur un PAN D… en 1999 il est vrai, soit 2 ans après cette médiatisation (que s’est-il passé entre-temps, les auteurs l’ont-il demandé à Velasco ?).
A côté de ces reproches contestables — et d’autres justifiés, comme indiqué précédemment — l’article tombe aussi dans des travers rationalistes classiques comme le fait d’opposer à un extraordinaire infalsifiable, non pas un doute (comme le voudrait la vraie zététique), mais un ordinaire tout aussi infalsifiable. Prétendre une méprise, sans besoin de la démontrer, parce que c’est théoriquement possible ; parce ce qu’on a pas assez de données, ou simplement pas pu trouver la bonne combinaison de “conditions particulières” qui auraient pu la générer. Comme si une hypothèse banale pouvait toujours rester envisageable par défaut, tant qu’on a pas démontré le contraire. A chaque croyance son inversion de la charge de la preuve, croyance rationaliste y compris. Et même si l’on démontre le contraire, il y pourrait toujours y en avoir une autre à laquelle on a pas pensé, parce que “les sources de méprises envisageables pour un cas précis ne sont jamais envisagées de manière exhaustive”. Comment peut-on se désoler honnêtement d’un tel manque d’exhaustivité, quand les possibilités sont infinies ? Et cette exhaustivité n’est-elle pas toujours susceptible de recouvrir un phénomène jusqu’alors inconnu ? C’est pourtant là la doctrine de la TRC, un “scepticisme conservateur” qui, comme un “gardien du temple” de la science, considère que tout ce qui n’est pas prouvé n’existe pas par défaut. Si on peut comprendre la motivation d’une telle position (si l’on admettait tout par défaut faute de prouver le contraire la science serait remplie d’aberrations elles aussi infinies), il apparaît bien plus sage de ne pas affirmer — ou même postuler — l’inexistence de phénomènes douteux. Sans quoi on devrait être légitimement tenu, et bien à mal, de prouver qu’une autre multitude de choses n’existent pas.
Il n’y a pas plus d’ufologue parfait que de témoin parfait. Ni même de zététicien parfait ou de rédacteur-en-chef parfait. En l’occurrence on peut regretter que Pour la Science, hélas sûrement peu au fait de la question, n’ait pas jugé utile de vérifier, si ce n’est la position épistémologique, au moins l’exactitude de tous les propos de cet article, et qu’il suffise encore de nos jours de descendre ceux qui osent envisager “l’impossible” pour être pris au sérieux.