C’est l’histoire d’un témoin…

Un sceptique bien connu m’a récemment fait suivre une devinette d’Hubert Reeves, qu’il trouvait très parlante : “Papa et maman se rendent au cinéma avec leur enfant. L’ouvreuse les introduit par une entrée à l’arrière de la salle et, en pénétrant dans celle-ci l’enfant s’écrie : ‘on va bien s’amuser tous les 4'. Qui est le ou la 4ème ?” Ne cherchez pas la réponse ; ce n’est pas une question de logique, mais une profession de foi.

RR0
4 min readOct 25, 2020

Article initialement posté le 18 février 2007

L’enfant s’était trompé. Il ne savait pas compter. La réponse n’était pas l’ouvreuse, ni même un autre péquin dans la salle, ni encore l’enfant qu’aurait porté la mère enceinte, mais simplement un fait récurrent de la vie de tous les jours : les gens se trompent, parfois. Quand ils vous racontent avoir vu un ovni comme ceci ou comme cela, se comportant de telle manière ou de telle autre, ils peuvent toujours se tromper. Et si l’on avait l’information exacte, on trouverai toujours l’explication.

C’est ce qu’on appelle le réductionnisme : généraliser abusivement une explication (quelqu’un s’est trompé, donc tout le monde se trompe) pour réduire tous les cas inexpliqués à son explication préférée (dans ce cas “tous les ovnis inexpliqués seraient explicables, dans l’absolu”). Il ne s’agit évidemment en rien d’une démonstration valable (ce n’est pas parce que je ne vois que des corbeaux noirs qu’il n’existe pas de corbeaux blancs) mais cet ami sceptique vous répondra volontiers qu’il en est “réduit” à de telles extrémités théoriques, puisque, c’est bien connu, “on ne peut prouver que quelque chose n’existe pas”.

Tout à fait ; donc si tu ne peux pas le prouver, ne l’affirme pas.

“Mais il faut bien affirmer quelque chose”, dira-t-il, quitte à revenir dessus par la suite, et “en attendant les preuves de l’existence des ovnis”. Le principe du “rasoir d’Ockham”, qui “veut que l’on préfère toujours l’explication la plus simple” nous le permettrai. Ici aussi, doit être rappelé que ce bon vieux Ockham n’a jamais rien prétendu de tel. S’il a bien posé qu’une explication qui se suffit à elle-même n’a pas besoin de termes superflus, il était bien trop sage pour affirmer qu’une explication est meilleure qu’une autre, ou même plus “simple”, quand elles débouchent sur des conclusions différentes. La réalité est parfois bien compliquée.

Nous voilà bien avancés, donc, à compter les points de cette guerre de religion, entre ceux qui, faute de pouvoir affirmer quelque chose avec certitude, mettent toute leur énergie à montrer qu’il n’ont pas tort, ou tout du moins qu’on ne peut pas le prouver. C’était peut-être un ballon, c’était peut-être un ovni. Vu comme çà, on ne peut évidemment pas le savoir. Mais une chose est sûre cependant : on ne pourra trancher tant qu’on se bornera à ergoter sur la crédibilité des témoins.

Y’a-t-il autre chose à faire ? Considérer les autres éléments bien sûr, et ne pas se focaliser sur le témoignage comme un arbre qui cache la forêt, d’autant plus s’il est frêle et fragile. Mais ne pas pour autant mettre cet arbre de côté, qui fait partie de la forêt et de son identité, qui nous intrigue. Peut-être cet arbuste déroutant, dont on ne sait trop quoi faire, n’est-il pas condamné à être soit coupé, soit magnifié. Peut-être y’a-t-il une meilleure manière de le faire se développer, et qu’il nous donne des fruits aussi satisfaisant, peut-être plus encore que ses congénères.

En fait, des méthodes existent déjà pour évaluer la ‘’sincérité’’ d’un témoignage mais elles ne répondent qu’à une partie de la question. L’enfant était sincère en croyant que lui et ses parents étaient 4. La seconde partie de la question relève de l’objectivité et non de la sincérité (presque superflue, la 1ère étant suffisante, dirait Ockham). Or il apparaît impossible, par définition, d’objectiver une observation. Tous les mots, tous les dessins du monde ne pourront au mieux que rendre compte de ce que le témoin est persuadé d’avoir vu, pas de ce qui a provoqué son stimulus.

Sans être une solution ultime, une option existe cependant pour s’approcher de cet objectif. En suivant la “méthode” classique, si quelqu’un vous dit qu’il a vu un ovni, vous pouvez toujours lui répondre qu’il s’agissait d’un ballon. Il réfutera peut-être votre explication, arguant que ce qu’il avait vu ne ressemblait pas du tout à un ballon, qu’il en a déjà vu dans des conditions semblables et que ça ne ressemblait pas du tout à çà, etc. En définitive, faute d’autres éléments sur lesquels vous appuyer, vous en serez réduit à conclure selon votre intime conviction, concluant qu’il s’agissait bien d’un ballon, quoi que le témoin en dise, et qu’à la décharge de ce dernier on regorge d’exemples où les témoins se sont trompés sincèrement. Bref, vous n’aurez pas fait avancer les choses. Pire, vous aurez prétendu conclure objectivement ou scientifiquement sur la base de, non seulement votre croyance personnelle, mais aussi et surtout un désaccord avec un des indices à votre disposition : le témoignage.

Par contre, prenez votre hypothèse de ballon. Dans un décor reproduisant le plus fidèlement possible les conditions d’observation du témoin (lieu, heure, météo, environnement, etc.) représentez votre ballon hypothétique dans les conditions en question. Son mouvement induit par la direction et la vitesse du vent à cette altitude, son aspect induit par l’éclairage du soleil, son image déformée par des perturbations de l’atmosphère près de l’horizon… et montrez-là au témoin. Demandez-lui si cela ressemble à ce qu’il a vu. S’il vous répond oui, votre hypothèse aura fait un pas non négligeable, en s’accordant avec le témoin. S’il vous répond non, il vous faudra envisager autre chose, ou à défaut, suspendre votre jugement.

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